Et les livres sans images, alors?

Comme Anatole France, Bourget était un de ces types portés aux nues de leur temps, que plus personne ne lit... ce qui doit les rendre au moins curieux à rouvrir aujourd'hui. Son Disciple était en effet considéré comme un classique du roman psychologique, pile au moment où ce genre allait être envoyé aux poubelles par Dada et les surréalistes.

Quant à Chateaubriand, c'est avant tout un blagueur (dans tous les sens du terme), comme le rappelait opportunément Henri Guillemin.

Je viens de finir "La Peau de chagrin", je me retrouve en ce cher M. Jourdain qui maudit ses parents de ne lui avoir appris plus tôt les subtilités de l'alphabet que lui enseigne le maître de philosophie. Balzac fait, dans ce roman, du Desproges avant l'heure. Celui qui osera dire que Balzac est chiant en lisant la tirade de Rastignac qui suit ....
Son ami Raphaël, désespéré par sa passion destructrice pour une femme sans coeur, lui demande conseil pour en finir :
"Que penses-tu de l'opium ?-Bah ! des souffrances atroces, répondit Rastignac. -L'asphyxie ?-Canaille ! -La Seine ? -Les filets et la morgue sont bien sales. -Un coup de pistolet ? -Et si tu te manques, tu restes défiguré. Écoute, reprit-il, j'ai comme tous les jeunes gens médité sur les suicides. Qui de nous, à trente ans, ne s'est pas tué deux ou trois fois ? Je n'ai rien trouvé de mieux que d'user l'existence par le plaisir. Plonge-toi dans une dissolution profonde, ta passion ou toi, vous y périrez. L'intempérance, mon cher ! est la reine de toutes les morts. Ne commande-t-elle pas à l'apoplexie foudroyante ? L'apoplexie est un coup de pistolet qui ne nous manque point. Les orgies nous prodiguent tous des plaisirs physiques, n'est-ce pas l'opium en petite monnaie ? En nous forçant de boire à outrance, la débauche porte de mortels défis au vin. Le tonneau de malvoisie du duc de Clarence n'a-t-il pas de meilleur goût que les bourbes de la Seine ? Quand nous tombons noblement sous la table, n'est-ce pas une petite asphyxie périodique ! Si la patrouille nous ramasse, en restant étendus sur les lits froids des cords de garde, ne jouissons-nous pas des plaisirs de la Morgue, moins les ventres enflés, turgides, bleus, verts, plus l'intelligence de la crise ? Ah ! reprit-il, ce long suicide n'est pas une mort d'épicier en faillite. Les négociants ont déshonorée la rivière, ils se jettent à l'eau pour attendrir leurs créanciers. A ta place, je tâcherais de mourir avec élégance."
Un peu plus loin, voici comment Raphaël, en appliquant les préceptes de son ami, parle de la débauche et de l'ivresse :
"Enfin la débauche est sans doute au corps ce que sont à l'âme les plaisirs mystiques. L'ivresse vous plonge en des rêves dont les fantasmagories sont aussi curieuses que peuvent l'être celles de l'extase. Vous avez des heures ravissantes comme les caprices d'une jeune fille, des causeries délicieuses avec des amis, des mots qui peignent toute une vie, des joies franches et sans-arrière pensée, des voyages sans fatigue, des poèmes déroulés en quelques phrases. "
Soit, le pot-au feu bout et le repassage m'attend !

J'AI CRAQUÉ.

Après cette récréation, je reprends les mémoires d'outre-tombe.
C'était vraiment chouette Monsieur Jadis, de l'alcool, de la poésie, des passages au poste de police, et beaucoup d'humour, notamment avec les apparitions de Roger Nimier (avec son expression fétiche ça te va bien au teint).
Et d'émouvantes phrases, comme celle où il évoque de manière pudique la mort de son ami sus mentionné.

Foxhole a écrit:

J'AI CRAQUÉ.

Et t'as bien fait Ca parle pas assez de blues par ici.

Acheté aussi (le lomax), mais toujours pas eut le courage de l'attaquer. Le (la) premier(e) qui dégaine vient en parler ici pour motiver les autres ?

J'ai lu les 200 premières assez rapidement, calé.. je suis vers 260. Ca foisonne d'informations, le seul désavantage selon moi: le poids du bouquin.

J'ai commencé aussi. Lomax écrit comme il parle (et comme d'autres chantent, d'ailleurs...), c'est vraiment bien.
Triste aussi, trente pages ont suffi à me déprimer à moitié (sa visite à la mère de Robert Johnson)...

Quelqu'un s'est-il envoyé En route pour la gloire de W. Guthrie?

Béroalde De Fuzz a écrit:

(J'en profite pour caser une marotte, c'est pas un attaque contre nos aimables et éclairés collègues forumeurs

Sur les véritables ressorts contemporains du mépris du populo, il est capital de clarifier les termes du débat en se renseignant sur les thèses (orwelliennes) de J.-C. Michéa:
Le Complexe d'Orphée, la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès


Pour les libéraux-libertaires de gauche et de droite contemporains c'est-à-dire "progressistes" experts en "gouvernance" globalisée qui se partagent la totalité de la parole autorisée (médias & partis au pouvoir), le peuple est l'ennemi (attaché à l'ancien monde honni, celui de l'humanité terrestre et temporalisée: le territoire, le ciel, les ancêtres) s'opposant à la marche glorieuse vers le nouvel ordre mondial technocratique cyber-pulsionnel. Cet ennemi populacier, le "beauf" ou le "redneck", il s'agit de le discréditer et l'anéantir sous le terme désormais infamant de "populisme", aujourd'hui synonyme de "fasciste" (Michéa rappelle aimablement aux belles âmes que les mouvements socialistes originels, qui n'ont rien à voir avec la gauche, sont des populismes).
(Rien à voir avec l'ancienne morgue de l'aristocrate, qui d'ailleurs ne vise pas tant le peuple lui-même, que les âmes vulgaires d'où qu'elles viennent: lire Stendhal sur ce point: Julien Sorel, le plébéien, méprise aristocratiquement.)

Béroalde De Fuzz a écrit:

Peter Mermoz Steinhauser a écrit:

Béroalde De Fuzz a écrit:

J.-C. Michéa

Et le bouquin du même sur l'école (L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes), l'as-tu lu (lanturlu)? Et au cas où la question ci-avant recevrait une réponse affirmative, est-il pertinent ?

Un petit classique. Commencer par celui-là.
(Même si on ne partage pas forcément toutes les thèses du monsieur, comme ce côté conspirationniste. Mais des chapitres comme "De la destruction des villes en temps de paix" par exemple sont indispensables, ne serait-ce que pour clarifier quelques débats embrouillés.)

Je replace tout cela ici, cela paraît mieux convenir.
Brèfle, j'ai lu "L'enseignement de l'ignorance ..." qui se termine pertinemment par "Quels enfants laisserons-nous à notre monde ?" ,et non l'inverse, et je poursuis avec le complexe d'Orphée. Je partage les réserves de Maître Béro, mais certaines pages me semblent ici bien cinglantes. Dans celle-ci, par exemple où l'on revient sur les conséquence de l'étalement et de la fragmentation de l'espace urbain (comme disent les géographes) ainsi que du chômage et de l'industrie du divertissement.
Voici :

Spoiler:

John the revelator a écrit:

Quelqu'un s'est-il envoyé En route pour la gloire de W. Guthrie?

Nan, mais j'ai dépassé la moitié du Lomax. Et du coup, j'en profite - à voir/lire/écouter parallèlement à la lecture :
- des archives vidéo de Lomax sur youtube : https://www.youtube.com/user/AlanLomaxArchive?feature=watch
- des photos et enregistrements (son + vidéos) : http://www.culturalequity.org/
- et puis je re-poste, sait-on jamais, ce super site : http://www.folkstreams.net/

Tant de choses à faire... Et si peu de temps...

Foxhole a écrit:

John the revelator a écrit:

Quelqu'un s'est-il envoyé En route pour la gloire de W. Guthrie?

Nan, mais j'ai dépassé la moitié du Lomax. Et du coup, j'en profite - à voir/lire/écouter parallèlement à la lecture :
- des archives vidéo de Lomax sur youtube : https://www.youtube.com/user/AlanLomaxArchive?feature=watch
- des photos et enregistrements (son + vidéos) : http://www.culturalequity.org/
- et puis je re-poste, sait-on jamais, ce super site : http://www.folkstreams.net/

Tant de choses à faire... Et si peu de temps...

Génial tout ça, merci, ça mériterais un topic dédié

Y a un topic sur le blues dans la section vidéo (le site culturalequity.org y est déjà présent )....

cette année le livre de poche a 60 ans : joyeux anniversaire :
http://www.ina.fr/video/I13043985

Dernièrement:
La Zone du Dehors (SF) de A. Damasio, excellent - adoré
La Trilogie des Fourmis (SF) de B. Werber, intéressant mais à ne pas lire après 18 ans (3ème tome au delà du nian-nian et décevant par son contenu)
Le portrait de Dorian Gray de O. Wilde, on sait où Béro choisit ses bons mots et ses tenues soignées

"Un inventeur-dépressif rencontre une fille qui disparaît quand on l’embrasse. Alors qu’ils échangent le plus petit baiser jamais recensé, elle se volatilise d’un coup. Aidé d’un détective à la retraite et d’un perroquet hors du commun, l’inventeur se lance alors à la recherche de celle qui « fait pousser des roses dans le trou d’obus qui lui sert de cœur ». Ces deux grands brûlés de l’amour sauront-ils affronter leurs peurs pour vivre leur histoire ? Le plus petit baiser jamais recensé, est un vrai faux polar romantique. Suite métaphorique de La Mécanique du cœur, ce roman teinté de mélancolie regorge de gourmandise explosive. Comme si Amélie Poulain dansait le rock’n’roll et croisait le Petit Prince avec un verre de whisky"

Brrrrr...

(le bouquin de Mathias Malzieu de Dionysos)

Ahah, effrayant, en effet.

Moi je lis pas mal les Mémoires de Saint-Simon en ce moment (je finirai jamais, c'est certain, le truc rempli une étagère). Bon, ça fait une source très pertinente pour un de mes cours, mais surtout c'est assez génial. L’écriture est longue et biscornue, il faut parfois s'accrocher pour tout saisir, gober les noms propres, s'enquiller des mots ou expressions inconnus, mais il y en a aussi des qu'il faudra retenir - genre "batailles de pelote de neige", tout-à-fait attendrissant, même si pas très représentatif. Et ça vaut souvent la peine (y'a aussi des pages un peu désertiques). Les meilleurs passages, ce sont les histoires un peu loufoques du folklore de cour (bidule qui balance des renards dans le jardin du château de truc, untel qui fait de la magie noir en douce, etc) ; la fatuité de notre duc et son obsession pour le rang ; ses portraits acides et ses commentaires fielleux sur à peu près tout le monde - un peu aigri le Saint-Simon.

Underground ou un héros de notre temps, de Vladimir Makanine. Génial pavé russe contemporain, sorte de mille-feuille littéraire, mais pas indigeste, sur la société russe sortant du soviétisme. Petrovitch fut un under, écrivain brimé par le régime de Brejnev, pas nécessairement un dissident, plutôt un artiste autre, hors du carcan officiel. Depuis, il végète comme gardien d'une cité communautaire moscovite, elle aussi en pleine réforme : d'appartements sobres mais assez égaux, l'ensemble évolue vers une privatisation et ses résidents d'acquérir une mentalité de petits bourgeois propriétaires.

En ces années Elstine, Petrovitch a perdu son statut d'écrivain pour celui de quasi clochard qui occupe les logements dont les habitants partent en vacances. Parallèlement, son frère, peintre de génie, stagne dans un hôpital psychiatrique, cassé par les autorités de naguère. Underground est un très beau roman qui, plus que le début des années 90, livre une vision de l'âme russe via une galerie de personnages : ceux qui sont restés under, ceux qui ont pu se faire publier, les nouveaux riches, les Caucasiens... Vraiment bon. Grinçant, nostalgique et bien traduit.

Georges Blond - Le survivant du Pacifique. Récit sur le parcours du porte-avions Enterprise, seul rescapé de Pearl Harbor, jusqu'à Okinawa. Plutôt bien écrit même si parfois redondant quant aux forces en présence lors des différentes batailles. En creux, c'est le fonctionnement de l'armée américaine qui apparaît : abondance, confort, sauvegarde des boys à tout prix (du genre à balancer 3 000 tonnes de bombes sur un îlot de 2,5 km²).

Pour l'anecdote, Blond fut un collaborateur (sans mauvais jeu de mots) de Je suis partout, qui s'est pas mal recyclé après-guerre sur des récits "à la gloire" des Alliés.

Omsk a écrit:

Pour l'anecdote, Blond fut un collaborateur (sans mauvais jeu de mots) de Je suis partout, qui s'est pas mal recyclé après-guerre sur des récits "à la gloire" des Alliés.

Ah ah! J'ai vu qu'il a aussi signé une bio de Petain, ça doit valoir le coup.

Fini ça:


Commencé ça:

Je viens de finir Les marécages de Joe Lansdale. C'est un auteur que j'aime vraiment bien et j'y reviens souvent. J'aime toute sa série de bouquins avec pour héros 2 détectives privés, l'un noir homo républicain et l'autre blanc hétéro et démocrate qui n'arrêtent pas de se chambrer. C'est pas de la grande littérature mais c'est marrant et ça se lit facilement.
J'aime aussi quand il s'éloigne de ses personnages fétiches. J'avais par exemple beaucoup aimé Un froid d'enfer, une espèce de roman noir dégénéré se déroulant dans un cirque de freaks.

Comme tous ses autres livres, Les marécages se passe au Texas. Mais là l'histoire se situe dans les années 30. Un jeune garçon, fils du shérif local, découvre le corps d'une femme mutilée. Le 1er d'une série. Mais les autorités ne semblent guère porter d'intérêt à ces meurtres, tant qu'ils concernent des femmes noires. Jusqu'à ce qu'une victime blanche soit découverte.
J'ai vraiment beaucoup aimé. C'est beaucoup plus écrit que ses autres livres. On est vraiment immergé dans le Texas de l'époque, embourbé dans la grande dépression et gangréné par le KKK. Et puis l'intrigue est bien ficelée et tient en haleine jusqu'au bout.

Hazan pose un certain nombre de questions intéressantes : le nom des rues, la place des banlieues et des populations immigrées, la "muséification" de Paris... Là où je le suis moins, c'est de voir en Paris la rebelle des temps futurs, dans un continuum espace temps de 1848 à la Commune aux émeutes de 2005. Un peu trop de romantisme là-dedans, peut être, même si l'initiative est intéressante et la maison d'édition sympathique.

Omsk a écrit:

Hazan pose un certain nombre de questions intéressantes : le nom des rues, la place des banlieues et des populations immigrées, la "muséification" de Paris... Là où je le suis moins, c'est de voir en Paris la rebelle des temps futurs, dans un continuum espace temps de 1848 à la Commune aux émeutes de 2005. Un peu trop de romantisme là-dedans, peut être, même si l'initiative est intéressante et la maison d'édition sympathique.

ouais voir la Commune sur un pied d'égalité avec les émeutes de 2005 ça me défrise un peu (en fait beaucoup même)

Frankystooge a écrit:

Omsk a écrit:

Hazan pose un certain nombre de questions intéressantes : le nom des rues, la place des banlieues et des populations immigrées, la "muséification" de Paris... Là où je le suis moins, c'est de voir en Paris la rebelle des temps futurs, dans un continuum espace temps de 1848 à la Commune aux émeutes de 2005. Un peu trop de romantisme là-dedans, peut être, même si l'initiative est intéressante et la maison d'édition sympathique.

ouais voir la Commune sur un pied d'égalité avec les émeutes de 2005 ça me défrise un peu (en fait beaucoup même)

C'est peut être pas exactement son propos, si ?
A lire peut être pour saisir la finesse du propos, s'il y'en a une

Moi, en ce moment, c'est :


pas très fin mais terriblement drôle et jouissif (ceux sur Duhamel ou Barbier sont particulièrement bidonnant)